Vingt ans de guerre: ça suffit !

Autor: DENIS MACSHANE
Font: LE MONDE
Publicat el: 10 d'Agost de 2011

Carl von Clausewitz (1780-1831) a dit que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Après vingt ans de guerre, à commencer par la première guerre en Irak, puis en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak et puis à nouveau en Afghanistan et maintenant en Libye, est-il temps pour le monde euro-atlantique de mettre un frein à sa poursuite effrénée de la guerre? La noblesse de l’intention d’empêcher Mouammar Kadhafi de répéter un massacre du type de Srebrenica à Benghazi, en mars, ne doit pas être mise en doute.

L’art de mettre fin a une guerre exige autant de leadership, de bravoure et de prise de risque que celui d’en commencer une. L’engagement précipité des Britanniques en Libye est aujourd’hui considéré comme une erreur stratégique. Bien sûr, les questions de stratégie n’ont rien à voir avec les questions de moralité ou de légalité. La guerre en Irak a été illégale parce qu’un Politburo communiste en Chine et un néo-autoritaire proche des oligarques à Moscou ont refusé d’adopter une deuxième résolution de l’ONU et ce, bien avant la menace d’un veto francais. L’opération en Afghanistan est couverte par l’ONU mais, depuis qu’Al-Qaida a été chassé en 2001, la mission a été accomplie. L’intervention en Libye a également obtenu le feu vert de l’ONU, mais a été menée par l’OTAN avec peu d’enthousiasme.

L’assassinat du chef des rebelles, le général Younis, par les islamistes devrait sonner l’alarme. Pourtant, il y aura toujours des représentants des Libyens prêts à expliquer aux dirigeants de Paris ou de Londres qu’une nouvelle frappe aérienne, un nouvel escadron non officiel de formateurs militaires, ou peut-être même quelques hélicoptères ou missiles de plus pourront faire l’affaire.

1 million d’euros par jour

La Libye fait deux fois et demie la taille de la France et sept fois celle du Royaume-Uni. Un des premiers ministres britanniques du XIXe siècle, Lord Salisbury, avait déclaré que la plupart des erreurs dans la politique étrangère de la Grande-Bretagne étaient liées à la mauvaise utilisation des échelles sur les cartes. Quelqu’un a-t-il rappelé à MM. Cameron et Sarkozy à quel point la Libye est grande? Tripoli et Benghazi se détestent. L’idée qu’un groupe de Benghazi serait le bienvenu à Tripoli est une aberration. Si les tribus et les islamistes l’emportent, ce n’est pas une démocratie “à la suisse” mais plutôt une charia de type taliban qui s’imposera à Tripoli.

L’aventure libyenne coûte à la France et à la Grande-Bretagne plus de 1 million d’euros par jour. Jusqu’à présent, aucun soldat français ou britannique n’a été tué en Libye. En Afghanistan, le nombre de morts augmente régulièrement.

Voilà deux décennies que l’armée occupe le coeur de la politique, avec la première guerre d’Irak, les conflits en Bosnie et au Kosovo, les interventions en Afrique telles qu’en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire et enfin les guerres post-11-Septembre dans les pays musulmans. Ces interventions n’étaient pas toutes injustifiées, de même que les nouveaux concepts onusiens du droit d’ingérence et de la responsabilité de protéger conservent leur importance.

Les soldats ont servi leur pays et les valeurs de la démocratie avec dévouement, dignité et un sens du devoir inégalé. Cependant, nous n’honorons pas nos soldats morts en entassant plus de cadavres sur eux. Mieux vaut une paix injuste qu’une guerre sans fin. Reste à savoir quels leaders politiques seront capables de mettre fin aux combats et de laisser la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis jouir d’une période de paix comparable à ce que l’Europe a connu lorsqu’elle a renoncé à faire la guerre pour garder ses colonies ou à la prospérité retrouvée aux Etats-Unis, une fois retirés du Vietnam.

Le monde non démocratique se délecte de voir les armées occidentales s’embourber dans des conflits ingagnables, qui pompent le sang et la richesse du renouveau économique et social dont la communauté euro-atlantique a tant besoin.

Les meurtres de masse, la torture et les atrocités qui accablent la Syrie sont bien pires que tout ce qui se passe en Libye. Mais on ne peut rien faire, de même qu’on ne peut pas lancer une guerre pour déloger les despotes sanguinaires et corrompus en Afrique, ou bien enrayer l’armement nucléaire en Iran.

La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Mais puisque nous ne connaissons plus de succès avec la guerre, peut-être qu’il serait temps d’essayer d’autres moyens.